Les jongles.
A l'époque on disait
jongles.
Il s'agissait bien
évidemment de jungles, mais elles semblaient à ce point lointaines
et sauvages qu'on préférait les désigner sous ce terme-là, jongles.
Rares étaient ceux qui les visitaient et plus rares encore ceux qui
en revenaient.
Et parmi ceux qui revenaient, combien étaient sains
d'esprit ?
On les peignait pourtant
idylliques comme le Douanier Rousseau. On pouvait y rencontrer un
tigre monté par un joueur de ukulele. Un tigre souriant presque et
prêt à jouer avec n'importe quoi, avec n'importe qui, parmi d'immenses fleurs dont on n'osait pas rêver.
Comme si, enfin, le
monde respirait en ce dimanche tropical.
Il y avait plus loin de belles femmes. Nues pour certaines, vêtues de blanc colonial pour d'autres, des
femmes resplendissantes de santé et en harmonie totale avec la
nature. Il y avait d'exubérantes végétations, des lianes
improbables, des variétés insoupçonnées d'araignées monstres et, caché dans les taillis, toujours, l'une ou l'autre de ces bestioles avec des dents décourageantes et des yeux brillants.
Il
arrivait aussi qu'on s'enroule dans de grandes fougères. Qu'on se
frotte subitement contre les troncs immenses d'arbres inconnus en
grognant comme un ours. On faisait ce genre de choses. Cela n'était pas mal vu. Et si par
bonheur le rythme du boogaloo venait à se faire entendre, il
pénétrait tous les tissus du corps et, par l'épiderme, s'infiltrait
jusqu'aux os afin qu'ils s'entrechoquent dans le sabbat frénétique
d'une pulsation vaudou.
C'était le bon temps des
jongles. Jongles fantasques et fantasmées, poussées dans l'esprit
d'un promeneur parisien. Car Henri Rousseau n'a jamais visité les
Tropiques. Il les a réinventées, paraît-il, au cours de promenades dans le
jardin des Plantes. Et sans jardin ni plantes
nous faisons pourtant de même, profitant des vastes décors que ce monsieur-là a plantés pour
nous sur la toile de ses tableaux.
Nos Tropiques sont nées au creux des vôtres, Monsieur Rousseau, et comme les vôtres elles sont plus rêvées que nature.
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